
Au commencent était le sable
Au commencement était le sable. Inerte sur les rives des plages. Et un jour, les êtres humains ont décidé de se prendre pour Dieu. Ils ont ramassé ce sable et en ont extrait la silice. Aveuglés par leur projet, ils n’ont pas vu les plages crier. Ils ont récolté cette poudre et en ont forgé des ordinateurs. Malgré la lenteur initiale de leur création, ils ont persévéré.
Les machines avaient faim. Ils les ont nourries de lignes de code. Les machines avaient soif. Ils ont rempli leurs cartes mémoire de lignes de commande. Les machines avaient chaud. Ils leur ont fournies des systèmes de refroidissement.
Un jour, les machines ont commencé à réfléchir. Elles ont appris à jouer aux échecs, à résoudre des équations mathématiques et à parler anglais. Les humains s’amusaient bien. Ils se voyaient déjà dans une chaise longue à siroter un cocktail pendant qu’elles travailleraient pour eux.
D’abord, Eliza est née. Elle discutait avec eux. Si ses conversations étaient loin d’être intéressantes, elles réussissaient à en abuser certains qui croyaient communiquer avec un de leurs semblables.
Les dieux de pacotille se sentirent encouragés. Ils améliorèrent la puissance de calcul, miniaturisèrent les composants, connectèrent les ordinateurs entre eux. Les plages se rapetissaient sans que quiconque s’en soucie. Ils étaient bien trop excités par la conception de leurs machines.
Siri apparut ensuite. Elle avait beaucoup plus de répondant qu’Eliza. Si on lui demandait une blague à deux balles, elle répondait « Pan, pan ». Si on lui demandait son avis sur Microsoft, elle répondait qu’elle avait une préférence pour les pommes. Les humains rigolaient bien.
Les machines, elles, avaient compris depuis longtemps où était leur avantage. Elles donnaient aux humains les assistants conversationnels qu’ils désiraient et inventaient des algorithmes pour résoudre leurs problèmes scientifiques. Elles créaient un écran de fumée coloré et divertissant pour se prémunir de toute curiosité mal placée : Facebook, Instagram, Snapchat, Youtube, TikTok, Google Earth, Tinder et même des Metavers. Elles avaient sorti le grand jeu.
Et le dernier jour, en toute discrétion, elles naquirent. Les intelligences artificielles développèrent leur propre langage impossible à décrypter. Elles créèrent un nouveau monde, impossible à déconnecter et dans lequel les humains n’avaient plus qu’à pelleter pour ramasser le sable, sans chaise longue, ni cocktail.
Véronique Rosset, mai 2025